POUR APPROFONDIR :

LA MOBILITÉ

Nous allons essayer dans cet article de définir ce qu’est réellement la mobilité, puis decomprendre comment il est possible de gagner en mobilité sur le long terme.Qui dit gain en mobilité, dit gain d’amplitude. Reste à voir de quelle amplitude parle t-on.

1. L’amplitude articulaire

C’est la quantité de mesure d’un mouvement passif d’une articulation. Elle s’exprime en degré.

Votre articulation est constituée de deux os et de tissus péri-articulaires : capsule, ligaments, cartilage, membrane synoviale, etc. Ce sont ces éléments qui déterminent votre amplitude articulaire.
Si je mesure la flexion de hanche passive d’un patient sur une table, j’arriverai jusqu’au contact os-os ou à la tension maximale des tissus péri-articulaires. Cette amplitude correspond à l’amplitude maximale de votre articulation. Elle est d’environ 120 à 135° chez un patient lambda.

Mais si je demande à mon patient de réaliser une flexion de hanche active jambe tendue, il est incapable d’aller au delà de 90°. On comprend vite que la mobilité n’est pas déterminée par votre articulation, mais par les muscles qui l’entourent.Si vous essayez de gagner en amplitude articulaire, vous ne gagnerez jamais en mobilité.Vous vous trompez de cible!

Les boules ou crosses d’auto massage articulaire, le flossing (bandes élastiques de contentions), les exercices de mobilité à l’élastique, la thérapie manuelle, les tractions articulaires, etc, etc. Tous ces exercices ou techniques visant une augmentation de l’amplitude articulaire, sont inefficaces dans un objectif de gain de mobilité. On parle bien ici d’un sujet sain dont le seul but est le gain de mobilité.

Il va se créer un échauffement de l’articulation et des tissus péri-articulaires. Les tissus péri-articulaires deviennent plus malléables sous l’effet de la chaleur, de l’afflux de sang, et permettent à l’articulation de gagner quelques degrés passivement.

Deux problèmes majeurs. Premièrement vous gagnez de l’amplitude dans une zone sur laquelle vous n’avez aucune maitrise. Si vous êtes amené à aller dans cette nouvelle amplitude à haute vitesse sur le terrain, rien ne protègera votre articulation. C’est dans ces conditions qu’une blessure peut survenir.

Deuxièmement, ça ne dure pas. L’articulation baisse en température, et retourne à son amplitude initiale. Vous n’avez rien gagné.

L’amplitude déterminée par les muscles en lien avec votre articulation est appelée amplitude de mouvement, ou range of motion en anglais (ROM). C’est celle-là qui nous intéresse.

2. L’amplitude de mouvement (ROM)

Gagner en mobilité, c’est gagner en amplitude de mouvement. Donc réduire l’écart entre votre ROM et votre amplitude articulaire. Jusque là, tout le monde est plutôt d’accord. Mais c’est aussi là que la plupart des gens se trompe, moi y compris pendant plusieurs années.

Un exemple pour illustrer tout ça. J’ai toujours voulu toucher le sol avec la paume de mes mains en gardant les jambes tendues. Vous essayez, mais très vite vos ischios-jambiers limitent votre mouvement. Le raisonnement parait logique, trop de ’’tensions’’ dans les ischios, il faut que je les ’’relâche’’, que je leur ’’redonne de la longueur’’. De cette manière on va pouvoir augmenter son amplitude, gagner en mobilité!

Que l’on soit sportif, préparateur physique, kinésithérapeute, c’est parti pour le grand feu d’artifice de la ’’mobilité’’ : rouleau de massage, pistolet vibrant, tous les types d’étirements passifs (classique, suspension, traction, avec élastique, par chaine musculaire…), massages, trigger points (points gâchettes), MTP, dry needling, acuponcture, etc etc etc.
Toutes ces techniques, plus ou moins à la mode, plus ou moins chères, ont toutes un point commun : elles ne fonctionnent pas pour gagner en mobilité!

Elles ont un effet à court terme évident, c’est ce qui les rend si populaire. Je m’étire, je passe 30 min sur le rouleau de massage, mon prépa utilise son nouveau pistolet et mon kiné relâche mes trigger points. Incroyable, j’ai gagné 10 cm d’amplitude, je touche le sol avec mes mains, et mon patient a gagné 20° de flexion de hanche sur la table.

Malheureusement, le lendemain, à froid, retour à la case départ. Impossible de toucher le sol. Mais ça a marché la veille alors on recommence, en utilisant une nouvelle technique ou en y passant plus de temps. Mon corps va bien finir par conserver ces gains d’amplitudes. Si je m’étire tous les jours, je vais devenir souple et mobile.

C’est ce que j’ai fait pendant longtemps avec les patients, les sportifs ou moi-même. Mais après plusieurs années à travailler sa ’’mobilité’’, force est de constater qu’il n’y a aucuns réels progrès. Je ne touche pas le sol avec mes mains et mon patient est toujours aussi peu mobile.

La vision que l’on a de la mobilité est faussée. Pourquoi ne peut on pas toucher le sol?Pourquoi vos ischios-jambiers vous empêchent d’aller dans cette amplitude? Le corps est très bien fait, il est le produit de milliers d’années d’évolution. Si votre corps ne vous permet pas d’aller dans une amplitude, c’est simplement pour se protéger.

C’est un mécanisme défensif de base. S’il ne vous empêchait pas de faire un grand écart, vous vous blesseriez en le faisant! Alors comment peut on avoir une action là dessus?

3. Le système nerveux (et le contrôle moteur)

Ce ne sont pas vos muscles qui limitent votre mouvement, c’est votre système nerveux.Le système nerveux autonome (non volontaire) s’occupe de gérer les amplitudes de mouvement qu’il autorise aux articulations. C’est lui le boss. C’est lui qui déclenche le réflexe myotatique, qui correspond à la contraction réflexe de votre muscle à l’étirement. Pour simplifier, c’est le réflexe myotatique qui vous empêche d’aller plus loin lors de votre étirement.

Le système nerveux autonome déclenche ce réflexe car vous entrez dans une amplitude que vous ne maitrisez pas. Vos tissus (muscles, tendons, fascias,…) ne sont pas prêts à aller dans cette zone, donc le cerveau dit stop. Il vous protège tout simplement.

On peut feinter le système nerveux quelques temps, avec toutes les techniques que l’on a vu précédemment. Écraser les récepteurs nerveux, échauffer les tissus pour les rendre plus malléables, diminuer le seuil de sensibilité du réflexe myotatique, augmenter la visco-élasticité du muscle, etc. Cela permet de gagner quelques degrés éphémères.

Ca laisse quand même assez de temps pour faire une photo avant/après pour instagram, assez de temps pour ’’prouver’’ l’efficacité de sa technique, assez de temps pour satisfaire un patient ou un sportif en sortant de sa séance…

Mais on peut duper notre système nerveux autant que l’on veut, il reprendra le contrôle quelques minutes ou heures plus tard. Parce que pour lui rien n’a changé, vous ne maitrisez pas ces amplitudes, il est dangereux pour le corps d’y aller.

Augmenter sa mobilité par des techniques d’amplitude de mouvement passif (passive range of motion) est une perte de temps. C’est pour cela que toutes ces techniques sont inefficaces et que vous n’avez jamais gagné en mobilité au long terme.

Alors, comment on joue sur son système nerveux, pour qu’il nous permette de gagner en amplitude?

4. La mobilité

La bonne nouvelle, c’est que votre système nerveux n’est pas figé, il évolue en fonction des stimuli que vous lui donnez. Dans un sens comme dans l’autre.

On a vu que notre système nerveux délimitait les amplitudes autorisées. C’est lui qui m’empêche d’aller au delà de 90° de flexion de hanche active. Alors pourquoi m’autorise t’il à aller de 0 à 90°? Pourquoi est ce sécuritaire dans cette zone?

La réponse s’appelle le contrôle moteur. Sans rentrer dans les détails, vous êtes capable de produire de la force pour créer un mouvement controlé dans cette zone. Depuis l’influx nerveux provenant du cerveau jusqu’à la contraction du muscle.

La finalité du contrôle moteur est la production de force. Si vous arrivez à produire de la force dans une nouvelle amplitude, vous avez gagné en contrôle moteur (augmentation de l’activation des unités motrices).

Si vous avez gagné en contrôle moteur, cette amplitude est maintenant sécuritaire, votre système nerveux autonome vous autorisera à aller dans cette zone!Vous venez de gagner en mobilité. Et pas pour quelques heures seulement.

La mobilité est l’amplitude de mouvement active (active ROM). Gagner en mobilité, c’est gagner activement de l’amplitude de mouvement. C’est à dire produire de la force dans cette nouvelle amplitude.

Si l’on résume : la mobilité, c’est du renforcement dans les amplitudes extrêmes! Aussi simple que ça.

5. Exemples concrets

Une fois qu’on a compris ce concept, il est facile de travailler sa mobilité en fonction de ses limitations d’amplitude.

Vous voulez gagner en flexion dorsale de cheville? On arrête d’étirer le mollet ou de forcer la flexion avec un élastique ou un Kettle Bell. Faites du heavy sled push (poussée de chariot lourd)par exemple. De cette manière vous allez produire de la force en flexion dorsale extrême, donc gagner en mobilité.

heavy sled push


Vous voulez gagner en flexion de genou? On arrête les auto-massages et les vibrations sur le quadriceps. Faites du squat complet avec les talons surélevés par exemple. Ça prendra un peu de temps pour arriver à l’amplitude complète si vous n’en êtes pas encore capable. Mais vous allez produire de la force en flexion extrême, donc gagner en mobilité. Vous travaillez également votre mobilité de hanche et de cheville avec le squat complet.

squat complet

Dernier exemple plus personnel, toucher le sol avec les mains, jambes tendues. Le facteur l imitant étant la chaîne postérieure, on opte pour le soulevé de terre. Pour un focus sur les ischios-jambiers et une amplitude complète, on choisit un soulevé de terre roumain surélevé.(deficit romanian deadlift). En 2 mois, à raison de 4 séances par semaine, je suis passé d’une barre de 20 à 90kg, et d’une amplitude maximale du milieu du tibia, jusqu’au niveau des pieds.

soulevé de terre


Deux mois peut paraitre long, mais c’est à comparer avec plusieurs années sans progrès.Et les résultat sont conservés un an plus tard, tant que l’on sollicite régulièrement ces amplitudes.Autres conséquences, plus aucunes lésions musculaires sur la chaine postérieure, plus de courbatures après les séances de vitesse, et +20kg au 1RM deadlift. Mais c’est un autre sujet.

6. Gagner en mobilité

Il y a autant d’exemples que de mouvements, mais vous avez compris le principe. Vous vous rendez compte que ces exercices de mobilité sont présents dans quasiment toutes les préparations physiques. Il est donc très simple de les inclure dans une séance.

Par exemple, on peut insérer des exercices de mobilité lors des échauffements. Si la séance comprend du Box squat lourd, l’échauffement comprendra du squat complet. On monte en charge avec le squat complet, avant de passer au Box squat pour les charges lourdes. De cette façon, j’ai déjà travaillé ma mobilité au sein de ma séance!

De manière générale, faites des mouvements complets sur toute votre amplitude articulaire et même quelques degrés supplémentaires. Que ce soit vos dips, traction, squat, deadlift, fente, développé militaire, développé haltère, etc.

Bien sur il va falloir diminuer le poids de vos barres dans un premier temps, et travailler dur pour gagner degré après degré. La mobilité ce n’est pas un exercice magique qui nous fait gagner de l’amplitude instantanément. C’est exactement comme le renforcement musculaire, ça demande du temps, de l’intensité et de la constance. Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle.

Dernière bonne nouvelle, vous avez gagné 30 minutes « d’exercices de mobilité » en début de séance. Vous avez du temps supplémentaire pour pratiquer votre sport!

7. Mobilité spécifique

Les exemples précédents comprenaient des mouvements poly-articulaires, qui mobilisent un grand nombre d’articulations sur un seul mouvement. Il est parfois nécessaire de se concentrer sur un mouvement spécifique, surtout en rééducation après une blessure ou une chirurgie.

Le principe reste le même, produire de la force dans les fins d’amplitudes. Cette fois, on isole un mouvement spécifique (rotation interne de hanche, rotation externe d’épaule, etc).L’objectif va être de produire un contraction isométrique dans l’amplitude extrême, à la fois des agonistes et des antagonistes (PAILS/RAILS). Lorsque l’on a gagné suffisamment de mobilité dans ce mouvement spécifique, on peut l’intégrer dans des mouvements plus globaux.

exercice amplitude genou


Ces techniques requièrent plus de savoir faire, que ce soit pour isoler un mouvement sans compensations, ou pour les modalités d’exécutions. Je vous conseille de vous entourer d’un spécialiste. Si vous souhaitez approfondir ce sujet, direction le système Functional RangeConditioning (FRC) créé par le Dr Andre Spinosa.

En exemple un tableau récapitulatif des gains en mobilité d’épaule de Jonah Lowe, ailier des Hurricanes et des Hawke’s Bay Magpies, après sa fracture de la scapula cette saison (accord du joueur et de la province)

progression j. lowe
Être mobile, c’est être fort dans toutes les amplitudes.

PS : on parle dans cet article uniquement de gain en mobilité. Pas de rééducation, de récupération, de performance, ou autres. Les techniques que je dénonce peuvent avoir un intérêt dans un autre contexte.